John Gradek, McGill University
Lynx Air est la dernière d’une longue série de compagnies aériennes à bas prix à faire faillite au Canada. Le transporteur a cessé ses activités le 26 février, quatre jours après avoir annoncé s’être placé sous la protection de ses créanciers.
Ce scénario n’est pas nouveau dans l’aviation commerciale canadienne : le pays a vu son lot de faillites de transporteurs à bas prix en raison d’une mauvaise santé financière.
Au cours des 30 dernières années, des compagnies telles que Canada 3000, Nationair, Greyhound Air, Roots Air et SkyService ont succombé à des difficultés financières et ont disparu de la scène du transport à rabais canadien.
La fin de Lynx nous offre l’occasion de faire le point sur la situation du transport aérien commercial au Canada et d’identifier les défis et les possibilités qui s’offrent pour maintenir, voire améliorer, la durabilité du secteur.
Pourquoi Lynx a-t-il échoué ?
Pendant plusieurs semaines, au début de l’année, les spéculations allaient bon train sur une fusion imminente entre Flair Airlines et Lynx. Cela aurait signifié que les voyageurs à la recherche de bas prix seraient devant un avenir incertain, avec la disparition d’un transporteur.
Aucun des deux transporteurs n’a reconnu publiquement l’existence d’un tel accord, se contentant de déclarer qu’ils ne feraient pas de commentaires sur ces spéculations.
Les difficultés financières de Lynx — une société privée qui n’est pas tenue de rendre publics ses résultats d’exploitation financiers — ont été citées comme le principal facteur à l’origine de la situation actuelle.
(Shutterstock)On s’attendrait à ce que l’entreprise susceptible d’acquérir Lynx soit en mesure de répondre à toutes les questions financières liées à la fusion. Mais Flair semblait avoir ses propres problèmes, qu’il s’agisse de la gouvernance d’entreprise ou de ses finances.
La fusion n’a pas été conclue, de nombreuses allégations contenues dans les documents judiciaires de Lynx faisant état de la nécessité de rembourser la dette d’un de ses actionnaires.
En bref, il s’agissait de deux compagnies aériennes fragiles sur le plan financier qui tentaient de fusionner, sans qu’aucune d’elles ne dispose de la solidité nécessaire. Lynx a préparé rapidement son dépôt de bilan.
Pourquoi les compagnies aériennes n’ont-elles pas tiré de leçons de tous ces échecs ?
Les entrepreneurs qui lancent des compagnies aériennes à bas prix sont convaincus que le succès de leur compagnie repose sur leur capacité à attirer un grand nombre de passagers. Elles visent à hausser la demande et à maintenir leur position concurrentielle sur les marchés qu’elles desservent.
La plupart de ces compagnies aériennes à vocation entrepreneuriale ont pour point commun d’utiliser la tarification comme une tactique de base pour stimuler et conquérir le marché.
Pendant une bonne partie de l’année 2022 et au début de 2023, Lynx et Flair ont été les leaders en matière de prix en Amérique du Nord, parfois avec des écarts importants. Ces deux compagnies se sont principalement fait concurrence en introduisant de nouveaux services partout au Canada et aux États-Unis, permettant ainsi aux Canadiens de réaliser des économies sur les tarifs aériens et engendrant de la demande.
Cette concurrence basée sur le prix n’a toutefois pas généré suffisamment de recettes pour assurer une rentabilité, même minime. Le duopole de compagnies aériennes établies au Canada — Air Canada et WestJet — n’a pas réagi activement à cette guerre de prix, car ces compagnies étaient occupées à reconstituer leur capacité à la suite des licenciements liés à Covid.
À l’automne 2023, après l’assimilation de Swoop et de Sunwing à WestJet, Air Canada et WestJet ont pris un certain nombre de mesures tarifaires. Elles ont proposé des liaisons concurrentielles avec celles de Flair et de Lynx, ce qui a permis de réduire l’écart de prix entre les transporteurs canadiens.
Le compte à rebours a alors commencé pour les transporteurs à bas prix. Lynx a manqué de temps et d’argent en février 2024 et le temps de Flair est probablement compté.
Le duopole est-il à blâmer ?
Les décisions tarifaires prises à l’automne 2023 semblent indiquer des initiatives visant à diminuer l’attrait des transporteurs au rabais, en particulier pour les clients de WestJet et d’Air Canada.
Malgré le succès des programmes de récompense pour grands voyageurs et l’inclusion d’éléments de voyage considérés comme secondaires dans les offres des transporteurs à bas prix, la crainte d’une récession a réduit de façon importante la demande de transport aérien au Canada. Des décisions tarifaires s’en sont suivies.
L’attrait tarifaire des compagnies aériennes à bas prix s’est rapidement dissipé et les a contraints à diminuer davantage les tarifs pour conserver leur position sur le marché.
Le gouvernement canadien a maintenu son point de vue quant au fait que le marché du transport aérien devait être libre de toute surveillance gouvernementale et que les voyageurs étaient les mieux placés pour juger de la capacité de survie des transporteurs.
Changer de voie
Le moment est peut-être venu d’envisager un nouveau modèle pour gérer le comportement tarifaire des compagnies aériennes qui fixent des prix inférieurs au niveau de rentabilité. Il convient également de se pencher sur les pratiques de WestJet et d’Air Canada, qui ont adopté des mesures tarifaires agressives destinées à compromettre la viabilité des transporteurs à bas prix.
Un grand nombre de modifications à apporter au modèle canadien de transport aérien commercial ont été proposées, en particulier celles qui visent la création d’une agence de l’aviation civile similaire à la Federal Aviation Administration aux États-Unis et à la Civil Aviation Authority au Royaume-Uni. Cela permettrait de séparer la surveillance commerciale des mesures de réglementation, qui sont actuellement toutes deux administrées par Transports Canada.
Une autre possibilité consisterait à instaurer une réglementation des tarifs aériens qui établirait un prix plancher pour les transporteurs à bas prix, ainsi que des limites de prix pour les grands transporteurs qui sont en concurrence avec les transporteurs à bas prix. Ces derniers pourraient ainsi disposer d’une marge de manœuvre pour proposer des tarifs sans être menacés par des mesures agressives.
Il est important de tirer des leçons de l’échec des transporteurs à bas prix, de tenir compte de l’angoisse ressentie par les voyageurs et le personnel des compagnies aériennes et de prendre les mesures qui s’imposent pour modifier la situation. La réputation du marché canadien du transport aérien mérite qu’on se penche là-dessus.
John Gradek, Faculty Lecturer and Academic Program Co-ordinator, Supply Network and Aviation Management, McGill University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.