Maude Brunet, HEC Montréal; Nathalie Drouin, Université du Québec à Montréal (UQAM) et Sofiane Baba, Université de Sherbrooke
Ce serait le plus grand investissement privé de l’histoire du Québec. Le projet Northvolt, annoncé en septembre 2023, prévoit l’établissement d’une gigantesque usine de batteries sur la Rive-Sud de Montréal.
Afin de persuader l’entreprise suédoise à s’installer au Québec, les gouvernements fédéral et provincial collaborent en finançant conjointement le projet à hauteur d’environ trois milliards de dollars, soit 40 % du financement total, estimé à sept milliards.
Trois mille emplois seraient créés dans l’usine, qui couvrirait une superficie équivalente à celle de 75 terrains de football.
L’annonce de l’arrivée du géant suédois au Québec a suscité de nombreux débats quant à son opportunité économique et aux risques environnementaux qui l’accompagnent, notamment sur les milieux humides.
L’enthousiasme des gouvernements pour ce projet est compréhensible. Il est cependant, selon nous, mal justifié et mal expliqué. Pourtant, le Québec se distingue mondialement en matière de participation publique et citoyenne autour des grands projets de développement. C’est un modèle qui s’est construit au fil des décennies, notamment autour du Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE).
En tant qu’enseignants-chercheurs en gestion de projets et management stratégique, nos travaux portent sur la gouvernance et l’innovation des mégaprojets, les projets d’infrastructure publique et leur acceptabilité sociale.
Northvolt : un projet conduit loin du débat public et de l’expertise scientifique
Vu l’ampleur du projet, il est étonnant que nos responsables politiques n’aient pas anticipé le débat qu’il susciterait, surtout à la lumière des événements marquants de la dernière décennie.
On pense à GNL Québec et à Gazoduq, projet qui a finalement été rejeté et plus récemment, au projet de troisième lien entre Québec et Lévis. Très politisé, il n’avait pas fait l’objet de réelles études. Le ministre de l’Environnement, Benoît Charrette, avait alors déclaré que le projet irait de l’avant, même en cas de recommandation défavorable du BAPE.
Il semble que la même attitude ait guidé Québec dans le cas de Northvolt. Benoît Charrette a affirmé récemment avoir délibérément aidé Northvolt à éviter l’examen du BAPE par crainte de perdre le projet, soutenant que le temps était critique et que l’on ne disposait pas de 18 à 24 mois. Or, un examen du BAPE se déroule plutôt en quatre mois, et permet d’enrichir considérablement les projets en informant toutes les parties prenantes de ses implications, notamment les citoyens et le promoteur.
Comme mécanisme de consultation publique, le BAPE semble ainsi être considéré comme un frein par nos dirigeants politiques.
La transparence, essentielle à une démocratie saine, manque dans ce dossier. C’est son absence qui irrite les citoyens et brime leur relation de confiance avec le gouvernement.
Le projet paraît avoir bénéficié de faveurs visant à l’extraire du débat public, ce que les Québécois et Québécoises ne voient pas d’un bon œil, selon les résultats de ce sondage.
Cependant, une majorité de citoyens semblent toujours appuyer le projet Northvolt, selon cet autre sondage.
L’acceptabilité sociale selon les connaissances existantes
L’acceptabilité sociale consiste dans l’évaluation, par une population ou une communauté, du caractère acceptable ou souhaitable d’un projet ou d’une industrie. Elle se forge en amont du lancement du projet et perdure tout au long de son cycle de vie. Elle ne se construit jamais lorsque le projet impacte déjà des zones sensibles en matière de biodiversité.
Comme l’ont montré des experts, il est considérablement moins onéreux de consacrer, en amont, un temps nécessaire à des consultations publiques sérieuses, plutôt que d’adopter uniquement une approche axée sur les aspects financiers pour convaincre.
Autrement dit, l’acceptabilité sociale des projets ne dépend pas uniquement des qualités intrinsèques et supposées du projet. Elle dépend aussi, et de manière significative, du processus mis en place et de la crédibilité des promoteurs, en particulier de ceux et celles qui défendent le projet sur la scène publique.
Un projet construit sans appropriation locale ni recherche d’acceptabilité sociale
Dans le cas du projet Northvolt, on remet en question l’ensemble des connaissances sur l’acceptabilité sociale des projets de politiques publiques et leur appropriation par les communautés locales.
Par exemple, pourquoi Northvolt a-t-elle obtenu l’autorisation d’implanter une usine, sur un terrain où un autre promoteur a vu ses autorisations refusées pour des raisons environnementales ? Pourquoi des projets immobiliers canadiens sont entravés sur des zones humides, tandis qu’une entreprise étrangère obtient ce droit ?
Au nom de quel principe les fonctionnaires se permettent d’exclure Northvolt du débat public en lançant le projet et en imposant ainsi une situation de fait accompli à la société ?
En matière de mégaprojets et de transition énergétique, deux perspectives contradictoires ?
Comme pour d’autres mégaprojets, deux visions s’opposent autour du projet Northvolt.
Une vision d’abord économique, portée par le gouvernement et axée sur le développement, la création de richesses attendue, les emplois directs et indirects, et les retombées financières que générerait le projet.
Dans cette perspective, la mobilisation sociale qui s’organise contre l’implantation de Northvolt freine le développement économique du Québec et effraie les investisseurs.
Une deuxième vision, civique et environnementale, s’intéresse aux retombées environnementales du projet.
Par exemple, le développement de la filière des batteries est présenté comme une opportunité environnementale. Pourtant, en matière d’électrification, de nombreux experts ne considèrent pas la voiture électrique comme un véritable catalyseur de la transition socioécologique. Le ministre Pierre Fitzgibbon lui-même affirmait récemment qu’une réduction de 30 à 50 % du parc automobile serait nécessaire pour une pleine adhésion à la transition socioécologique.
Concilier les perspectives économiques, civiques et environnementales
Les perspectives économiques, civiques et environnementales ne nous semblent pas contradictoires.
Elles peuvent être harmonisées, à condition que les citoyens et les scientifiques soient considérés comme des alliés dans la poursuite d’un développement économique durable. Plutôt que de les percevoir comme des opposants au développement économique, leur intelligence collective devrait être appréciée et mobilisée sur le sujet.
Le Québec dispose de toutes les ressources nécessaires pour entreprendre des projets d’envergure, tel que Northvolt, tout en respectant les impératifs d’un développement durable, inclusif et équitable.
Par sa taille, sa visibilité et sa vision, le projet Northvolt peut apporter une dimension supplémentaire, notamment symbolique, à la transition socioécologique au Québec.
Nos dirigeants, s’ils le souhaitent, pourraient concilier leur perspective économique et technique avec la perspective environnementale et civique. Pour ce faire, ils auraient avantage à favoriser un dialogue constructif avec la société civile et les experts en dynamiques sociales autour des grands projets de développement.
Maude Brunet, Professeure agrégée, Gestion de projets, HEC Montréal; Nathalie Drouin, Directrice exécutive, KHEOPS, consortium international de recherche sur la gouvernance des grands projets d'infrastructure, Professeure invitée University of Technology, Sydney, Chercheure associée, ENAP et Professeure ESG UQAM, Université du Québec à Montréal (UQAM) et Sofiane Baba, Professeur agrégé de management stratégique, Université de Sherbrooke
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.