La récente victoire de Donald Trump aux élections américaines est telle qu’aucun des contre-pouvoirs habituels n’entravera son mandat. Dans ces conditions, et au regard de l’historique du futur président, n’y a-t-il pas un risque de voir glisser les États-Unis vers une oligarchie autoritaire ?
L’oligarchie est un régime politique ou le pouvoir est contrôlé par un petit groupe privilégié. Le nouveau président a en effet bénéficié, tout au long des élections, de l’appui d’oligarques économiques et médiatiques tels qu’Elon Musk et Vivek Ramaswamy (fondateur d’une biotech) qui dirigeront le futur département de l’Efficacité gouvernementale.
Respectivement professeur titulaire de relations internationales au Département d’histoire de l’Université Laval et doctorante à l’Université catholique de Louvain en histoire, nous estimons que la situation est préoccupante, car le populisme menace la démocratie, notamment en minant la confiance de la société civile envers ses institutions et ses médias.
Une victoire unilatérale
La récente victoire de Donald Trump est particulière en ceci qu’elle lui confère une pleine autorité sur les différents leviers du pouvoir américain.
À titre de président, Donald Trump contrôle le pouvoir exécutif. Mais pas seulement. Via le Parti républicain, qui a remporté la Chambre des représentants et le Sénat, Trump détient également le pouvoir législatif du pays.
À cela s’ajoute le contrôle du pouvoir judiciaire par le biais de la Cour suprême des États-Unis, laquelle compte une majorité conservatrice (6-3). Rappelons que lors de son premier mandat (2016-2020), Trump y avait nommé trois juges conservateurs.
En l’absence des contre-pouvoirs institutionnels usuels, le président Trump sera ainsi en mesure de mettre en œuvre les promesses politiques annoncées dans sa campagne présidentielle.
Populisme et oligarchie
Mais plus que toute autre chose, ce qui caractérise la récente élection de Donald Trump par rapport aux précédentes élections américaines, c’est la fusion ouverte entre les populistes et les oligarques.
Selon le philosophe grec Aristote, l’oligarchie est un régime politique ou le pouvoir est assumé, contrôlé, par un petit groupe privilégié.
Le populisme est quant à lui un phénomène plus récent, du dernier siècle, et que l’Encyclopédie Universalis définit comme suit :
Le populisme de droite joue sur les émotions […] Les populistes de droite centrent leur discours sur le rejet de l’immigration et du multiculturalisme […] ils s’inscrivent dans l’héritage du nativisme qui postule que les vrais citoyens sont des nationaux « de souche » et que les immigrés (ou leurs descendants) représentent une menace pour l’homogénéité de la communauté nationale.
Trump incarne aussi bien le premier que le second. Or, l’oligarchie tout comme le populisme sont pour ainsi dire des anomalies de l’État libéral. Dans un régime politique néolibéral fonctionnel, l’influence de l’idéologie populiste et de l’oligarchie économique est marginale. Ils risquent, comme tels, d’affaiblir l’État de droit qui est le fondement de la démocratie américaine.
Les milliardaires et la démocratie
L’entrée des oligarques, ces gens d’affaire déjà proches du pouvoir politique, dans la fonction publique du gouvernement fédéral s’explique notamment par l’aide massive qu’ils ont apportée à Trump durant la campagne présidentielle.
Ils s’insèrent dans les rouages du pouvoir, non pas comme candidats aux élections, mais plutôt en exerçant une influence sur les dirigeants politiques qu’ils ont aidé à élire. Ces élites économiques ont également la possibilité d’influencer les politiques publiques à leur avantage, même si cela va à l’encontre de l’intérêt de la majorité des citoyens.
L’engagement financier et médiatique de Musk en faveur de Trump durant la dernière année a été particulièrement important. À elle seule, la contribution financière de Musk s’élève à plus d’une centaine de million de dollars.
La mise au service par Musk de sa plate-forme X – anciennement Twitter – à la campagne de Trump est tout aussi impressionnante. Entre le 5 octobre et le 5 novembre 2024, Musk a publié 3247 messages en faveur du Parti républicain sur son compte X, lequel rassemble quelque 203,4 millions d’abonnés.
Un silence historique
Dans la même veine, notons l’abstention lors de la dernière élections du Washington Post et du Los Angeles Times, qui ont refusé de prendre parti, comme c’était historiquement le cas.
Le Washington Post et le Los Angeles Times, propriétés respectives des milliardaires Jeff Bezos et Patrick Soon-Shiong, exercent une influence considérable sur les électeurs, d’Ouest en Est.
En mettant leur empire médiatique au service du pouvoir politique, ces hommes ont non seulement la possibilité de limiter la liberté d’expression de leurs propres employés, mais également de contrôler les informations auxquelles les lecteurs et consommateurs de leurs médias ont accès.
L’indépendance des médias est essentielle : leur rôle est de partager les faits sans tenir compte des conséquences politiques ou des individus qu’ils pourraient déranger. Dans des pays comme la Hongrie, la Turquie ou la Russie, l’érosion démocratique a été facilitée par l’absence de liberté de presse et de médias indépendants.
Donald Trump a, à de nombreuses reprises, menacé de retirer les licences de certains diffuseurs et de s’attaquer aux propriétaires de différents médias. Dans une démocratie, la liberté de presse est essentielle pour tenir la population informée et demander des comptes aux dirigeants. En s’y attaquant, Trump ébranle l’un des derniers contre-pouvoir pouvant potentiellement entraver son prochain mandat.
Un horizon incertain
Parallèlement, depuis son premier mandat, Trump a signalé plusieurs fois qu’il était sympathique, voire qu’il éprouvait de l’admiration à l’égard de certains autocrates comme Xi Jinping, Vladimir Poutine, King Jong‑un, Viktor Orban et Recep Tayyip Erdoğan.
Trump a également placé au pouvoir des lobbyistes ou des gens représentants ses intérêts particuliers. Il a plusieurs fois refusé de se conformer aux normes et pratiques attendues d’un homme dans sa position.
Il a fréquemment remis en question les grands principes démocratiques et les institutions les défendant, promettant même de se servir du système de justice contre ses adversaires personnels.
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Bien que Trump ait affirmé vouloir renforcer la démocratie américaine, ses actions lors de son premier mandat, les promesses de sa récente campagne électorale, et les premières nominations présidentielles des dernières semaines laissent présager une contestation de l’État de droit établi aux États-Unis depuis des décennies.
Comme Orban l’a fait en Hongrie, Trump s’est attaqué à l’indépendance du système de justice : la Cour suprême étant devenue un pilier de son pouvoir et un moyen de légaliser son programme.
Étant le seul président a avoir été doublement impeached pendant son premier mandat, les lois et la constitution ne semblent pas non plus représenter des obstacles à ses élans autocratiques.
La fin d’une ère
En Europe, la victoire de Trump a été saluée par ses supporteurs : Viktor Orban, le président de la Hongrie et Robert Fico, le premier ministre slovaque. Les dirigeants d’autres États membres de l’Union européenne se sont abstenus de critiquer le choix du peuple américain.
Dans les cercles diplomatiques de l’OTAN et de l’Union européenne, l’atmosphère est plutôt morose. Plusieurs scénarios, tous lourds de conséquences pour la sécurité européenne, sont envisagés : (1) le retrait des États-Unis de l’OTAN, (2) ne pas invoquer l’article 5 de la Charte de l’OTAN si un membre est attaqué. Il stipule que si un membre de l’Alliance est attaqué, tous les membres doivent le défendre contre l’agresseur. (3) un accord entre Trump et Poutine pour mettre fin à la guerre en Ukraine au profit de la Russie.
L’arrivée de l’oligarchie financière à la Maison Blanche est une bonne nouvelle pour Vladimir Poutine et l’oligarchie russe au pouvoir. Une entente entre Moscou et Washington sur la guerre en Ukraine, au détriment de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine serait le signe pour les dirigeants européens que la sous-traitance de la sécurité européenne à la puissance américaine appartient au passé.
Le moment est arrivé pour l’Europe de prendre en charge sa propre sécurité face à l’impérialisme russe.
Renéo Lukic, Professeur titulaire de relations internationales, Université Laval et Sophie Marineau, Doctorante en histoire des relations internationales, Université catholique de Louvain (UCLouvain)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.