file-20241219-17-6zo0wp.jpg?ixlib=rb-4.1.0&rect=10%2C0%2C985%2C666&q=45&auto=format&w=754&fit=clip Les mammifères marins ne possèdent pas de glandes à sel. (Shutterstock) A. Victoria de Andrés Fernández, Universidad de Málaga

Imaginez la scène. Vous êtes un naufragé, sur une île déserte entourée d’eau de mer. Et vous avez soif. Très soif.

Vous êtes alors confronté à un dilemme torturant : dois-je boire cette eau salée qui m’entoure, ou alors mourir assoiffé ?

Malheureusement, il ne faut pas succomber à la tentation.

L’eau de mer ne nous hydrate pas. Au contraire, elle nous déshydrate.

Et ce, à une vitesse vertigineuse.

Que se passe-t-il lorsque nous perdons de l’eau ?

D’un point de vue chimique, le corps humain (comme tous les autres organismes vivants de la planète) est essentiellement composé d’eau et de sels dissous. L’eau est le milieu dans lequel se déroulent toutes nos réactions biochimiques et, par conséquent, l’élément essentiel pour garantir notre le bon fonctionnement de notre métabolisme.

En d’autres termes, l’eau assure notre survie.

Comme nous nous trouvons dans un environnement terrestre sec, l’eau a tendance à s’échapper de notre corps.

Heureusement, au cours de notre évolution, la sélection naturelle a créé une enveloppe qui ne laisse pas passer l’eau. C’est notre peau. Et sa capacité d’imperméabilisation est due à une protéine, la kératine, qui est située dans ses couches les plus superficielles. Grâce à la kératine, notre peau agit un peu comme un manteau imperméable.

Cependant, le corps humain est loin d’être entièrement étanche. En effet, l’eau s’évapore continuellement par les zones qui doivent rester humides pour fonctionner correctement (yeux, narines, bouche, urètre, anus et vagin).

De plus, nous éliminons nos déchets azotés toxiques (issus du catabolisme des protéines) sous forme d’urine. Il s’agit essentiellement d’urée diluée dans de l’eau.

Enfin, notre « imperméable de kératine » doit avoir des pores pour que nous puissions transpirer. C’est notre façon de nous rafraîchir lorsqu’il fait chaud.

Ainsi, dans les faits, nous perdons continuellement ce liquide précieux et essentiel.

Afin de récupérer cette eau perdue, il faut la « voler » à notre principal réservoir d’eau, le sang. Ce processus réduit la volémie (volume sanguin) et, par conséquent, la pression artérielle. Cette situation dangereuse, détectée par les récepteurs cardio-pulmonaires et les barorécepteurs (qui sont sensibles aux changements de pression artérielle), active le système rénine-angiotensine-aldostérone (situé dans le rein) et diminue le peptide natriurétique auriculaire. Ces deux actions déclenchent la sensation de soif dans le cerveau.

Une fois alertés, nous réagissons : nous buvons de l’eau. Cette eau sera alors absorbée par l’intestin dans la circulation sanguine via les capillaires, ce qui rétablira le volume sanguin. Et tout revient à l’équilibre.

Que se passe-t-il si nous buvons de l’eau salée ?

Si nous buvons de l’eau de mer, l’intestin l’absorbera telle quelle. Ainsi, l’eau et les sels (principalement le chlorure de sodium, communément appelé sel de table) qu’elle contient atteindront le sang. Les reins auront alors tendance à éliminer l’excès de sel par l’urine, afin de rétablir l’équilibre osmotique.

Le rein humain peut éliminer jusqu’à environ 6 grammes de sodium du sang par litre d’urine excrétée. Comme l’eau de mer contient environ 12 grammes de sodium par litre, la consommation d’un litre d’eau salée entraînera l’accumulation de 6 grammes de sel de plus, mais sans son équivalent en eau diluée. En d’autres termes, pour éliminer le sel d’un verre d’eau de mer, il faudrait excréter deux verres d’urine. Ce qui nous déshydraterait encore plus que nous l’étions avant de boire.


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Ce qui est encore plus grave, c’est qu’en plus du chlorure de sodium, l’eau de mer contient du sulfate de magnésium. Cette molécule lie l’eau à l’intérieur de l’intestin, ce qui empêche son absorption. C’est d’ailleurs l’ingrédient actif certains laxatifs populaires.

Résultat ? Boire de l’eau de mer donne soif, et donne aussi la diarrhée.

Comment les poissons, les tortues et les crocodiles résolvent-ils ce problème ?

Mais certains animaux n’ont pas le même problème.

En effet, l’évolution a permis aux organismes de développer des stratégies très différentes.

En principe, on pourrait penser que les poissons, qui vivent dans l’eau, ne doivent pas lutter contre la déshydratation. Mais ce n’est pas le cas. Les poissons doivent eux aussi se réapprovisionner en eau, bien qu’en quantité moindre qu’un vertébré terrestre. Et ils doivent également éliminer les sels en excès.

Les poissons osseux n’urinent pas : ils le font par leurs branchies. Les requins et les raies, bien qu’ils aient également des branchies, sont plus originaux. Ils éliminent les sels dans leurs fèces. Pour ce faire, ils filtrent leur sang à deux reprises. Une première fois dans les reins (comme tout autre vertébré), puis une seconde dans la glande rectale située près de l’anus (appelé cloaque).

Ces glandes à sel, qui concentrent et sécrètent les sels, sont également présentes chez d’autres vertébrés qui se nourrissent et vivent dans la mer, bien qu’elles soient situées dans d’autres régions anatomiques. Ainsi, alors que les oiseaux de mer et certains reptiles marins les ont au niveau du nez, elles se situent dans les yeux chez certaines tortues de mer. De leur côté, les serpents de mer les ont sous la langue et on les retrouve sur la langue chez les crocodiles marins d’Asie et les crocodiles d’Amérique du Nord.

Les baleines et les dauphins ont le choix

Qu’en est-il des mammifères marins ?

Eh bien, étonnamment, ils ne possèdent pas de glandes à sel. En fait, ils n’ont pas d’organes sécréteurs de sel, à part les reins. On pourrait donc penser qu’ils doivent avoir des reins très performants, capables de produire une urine très salée.

Or, bien que leur urine soit réellement très hypertonique (concentrée), les otaries, les phoques, les baleines, les marsouins, les orques et les dauphins ont opté pour une solution alternative très curieuse : ne pas boire d’eau.

Leur stratégie, étonnamment différente, consiste à « récupérer » les efforts d’osmorégulation de leurs proies. Et ce, de deux manières. D’une part, les fluides de l’animal qu’ils viennent de chasser (principalement son sang) constituent leur principale source d’eau. D’autre part, ils génèrent de l’eau biochimiquement à partir de la « viande » de l’animal qu’ils mangent.

Le processus est simple. Les hydrates de carbone, les graisses et les protéines de la proie sont digérés dans l’estomac du cétacé (ou du pinnipède, si l’on pense à un phoque plutôt qu’à un dauphin), absorbés dans son intestin et distribués par le sang à toutes les cellules de son corps. Une fois dans les cellules, alors qu’ils sont déjà dégradés en acides tricarboxyliques, ils entrent dans les mitochondries pour en tirer de l’énergie et des ions hydrogène (H⁺).

Il ne reste plus qu’à ajouter aux H+ l’oxygène respiré (O2) pour que la magie opère : H20, la molécule de l’eau.

Bien que ce processus, appelé respiration cellulaire, soit largement répandu chez les animaux (en tant qu’organismes aérobies que nous sommes), il n’a pas la même valeur relative chez tous. Pour un animal qui « boit de l’eau », les molécules d’eau générées sont des éléments « résiduels » qu’il élimine directement en produisant davantage d’urine.

Pour les mammifères marins, en revanche, les mitochondries seraient de véritables « pierres philosophales biochimiques », capables de générer le plus précieux des trésors : l’eau.La Conversation Canada

A. Victoria de Andrés Fernández, Profesora Titular en el Departamento de Biología Animal, Universidad de Málaga

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.