Il y a cinq ans, le 27 septembre 2019 à Montréal, près d’un demi-million de personnes ont manifesté en faveur du climat.
Cette « manifestation monstre » aurait pu marquer un tournant dans la lutte au changement climatique si la pandémie n’avait pas stoppé net cet élan de la société civile.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Au-delà des grands rassemblements, les manifestations en faveur de l’environnement sont bien présentes, soutenues dans le temps et concernent une pluralité de personnes. Les enjeux environnementaux alimentent fortement l’activité protestataire au Québec.
Entre le 1er janvier 2023 et le 30 juin 2024, Eva Rayneau, candidate à la maîtrise en science politique, et moi, spécialiste des mouvements sociaux et de l’action collective, avons recensé au Québec une cinquantaine d’événements protestataires liés à la protection de l’environnement. Cela a été fait à partir d’une base de données médiatiques construite sur l’ensemble du territoire. Ces événements représentent un peu plus de 11 % de l’ensemble de l’activité protestataire de la province (en excluant les évènements liés aux grèves dont celles dans la fonction publique, qui ont marqué l’automne 2023).
Des luttes environnementales très imbriquées
Les luttes en faveur de l’environnement sont très imbriquées entre les mobilisations nationales et les enjeux locaux.
Au plan national, quatre grands moments se distinguent : le Jour de la Terre les 22 avril 2023 et 2024, la semaine de la rage climatique du 25 au 29 septembre 2023, la campagne « Inégalités et climat déréglé, c’est assez ! » du 20 au 24 février 2023, et la fête des Mères le 12 Mai 2024.
À l’échelle canadienne, une manifestation s’est tenue le 6 avril 2024 contre les investissements de la Banque Royale du Canada (RBC) dans les énergies fossiles. Celle-ci a eu lieu dans le cadre d’une série de manifestations, issue du mouvement pancanadien Lead Now.
À l’échelle locale québécoise, les gens se sont mobilisés pour empêcher la construction de certains projets industriels, comme l’usine de batteries Northvolt à Saint-Basile-le-Grand ou le projet d’agrandissement du parc industriel « Carrefour 40-55 » à Trois-Rivières, ainsi que pour la protection de milieux naturels, comme les terres de Rabaska du côté de Lévis ou la forêt de Pointe-au-Père. Ce sont souvent des activités de protestation qui se déroulent en plus petit comité — trois évènements seulement ont dépassé la centaine de personnes — mais qui ont été présentes presque tout au long de la période considérée.
Les luttes pour la justice climatique et la protection de l’environnement sont souvent à la fois locales et globales. En 2023, par exemple, dans le cadre du Jour de la Terre, des évènements ont eu lieu dans neuf villes différentes, chacune abordant, au-delà de la dénonciation de l’impuissance des gouvernements à freiner le réchauffement climatique, des problématiques spécifiques à leur région.
Plus globalement, ces actions s’inscrivent dans une volonté de dénoncer non seulement les entreprises polluantes, mais aussi la complicité des gouvernements. En effet, 44 des 50 événements recensés avaient pour cible les autorités fédérales ou provinciales, signe que les personnes militantes identifient les gouvernements comme un acteur clé, sinon le principal responsable, de la crise climatique et de la protection de l’environnement.
L’implication des jeunes et des mouvements étudiants se confirme
La Semaine de la rage climatique, qui s’est déroulée du 25 au 29 septembre 2023, a rassemblé environ 50 000 étudiants et étudiantes en grève à travers le Québec.
Dans cette perspective, 2019 n’apparaît pas comme un épiphénomène, mais bien comme le marqueur d’un changement profond, à la fois pour le mouvement étudiant et pour le mouvement environnemental qui voient leurs revendications se transformer : le mouvement étudiant s’occupe de plus en plus du climat (et non juste de la condition étudiante ou de l’accessibilité des études), alors que le mouvement environnemental intègre en son sein des revendications explicitement anticapitalistes.
Le climat et l’environnement : des enjeux universels
Outre les organisations étudiantes, de nombreux syndicats, groupes de femmes, organismes communautaires et associations citoyennes ont pris part aux manifestations.
Les forces syndicales ont participé à presque tous les évènements recensés sur le plan national et en ont co-organisé deux, dont le jour de la Terre à Joliette en 2023. En juillet de la même année, les syndicats actifs dans l’industrie forestière ont également demandé au gouvernement la tenue d’« états généraux de la forêt », un sujet mettant en balance la protection des droits des travailleurs et travailleuses et la protection de la ressource forestière.
Le collectif écoféministe Mères au front a organisé un événement marquant lors de la fête des Mères en 2024. Composé majoritairement de femmes préoccupées par l’avenir écologique de leurs enfants, il est devenu un acteur incontournable du mouvement pour la justice climatique au Québec.
De nombreuses organisations locales de défense des territoires se sont également impliquées. C’est le cas du collectif Sauvetage du patrimoine agricole à Lévis et Beaumont, qui se bat pour la protection des Terres de Rabaska, ou encore du Comité Action Citoyenne, qui lutte contre le projet de Northvolt. Ces comités citoyens jouent un rôle crucial dans la défense des écosystèmes locaux, tout en participant à des mobilisations de plus grande envergure.
Force de frappe
Les luttes environnementales font aujourd’hui partie intégrante du paysage protestataire « routinier » du Québec. Plusieurs groupes sociaux s’occupent aujourd’hui de ces enjeux, même s’ils ne constituent pas, traditionnellement, leurs préoccupations premières (mouvement étudiant, syndical et féministe).
La manière dont ces acteurs se sont approprié ces luttes va déterminer en partie la force de frappe collective que la société civile québécoise sera en mesure de construire pour faire entendre sa voix.
La manifestation du 27 septembre 2024 pour la justice sociale et climatique en sera le prochain test.
Pascale Dufour, Professeure titulaire - spécialiste des mouvements sociaux et de l'action collective, Université de Montréal et Eva Rayneau, Candidate à la maîtrise de science politique
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.