Myriam Ertz, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC); Anaïs Del Bono, HEC Montréal; Emmanuel Raufflet, HEC Montréal, and Walid Addar, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
Pourtant, il s’agit d’une des stratégies circulaires les plus basses dans la hiérarchie 3RV (réduction, réemploi, recyclage, valorisation). Elle n’implique en effet aucun changement structurel ou systémique majeur du modèle « linéaire », soit l’extraction, la production et la mise au rebut de biens, vers un modèle circulaire, où la création de produits intervient à partir de matières secondaires.
L’économie circulaire s’articule autour de deux idées clés :
1) Repenser les modes de consommation et de production existants afin de minimiser la consommation de ressources vierges
2) Optimiser l’utilisation des ressources (énergie, matériaux, produits) existantes en prolongeant leur durée de vie ou en les réutilisant utilement afin de repenser les modes de consommation et de production existants.
L’étape du recyclage a pourtant été promue et médiatisée depuis plusieurs décennies dans de nombreuses municipalités canadiennes, avec l’appui d’une réglementation et de plans provinciaux. Malgré ces efforts, des dysfonctionnements majeurs, persistent notamment dans la phase de tri des déchets plastiques. En l’occurrence, 87 % de ces déchets aboutissent dans des sites d’enfouissement ou dans l’environnement.
Les médias font régulièrement état de cette « crise du recyclage ». Parallèlement, on constate une crise de confiance des citoyens : en 2020, pas moins de la moitié des Canadiens (48 %) avaient confiance dans le système de recyclage et ce chiffre était en baisse par rapport à 2018 (54 %).
Si les efforts ont été traditionnellement orientés vers la conscientisation et la responsabilité individuelle des consommateurs canadiens, cette approche culpabilise le maillon le moins responsable des problèmes liés au recyclage.
Enquête des pratiques canadiennes en matière de recyclage
Face à ces crises et afin de mieux comprendre comment améliorer le recyclage et promouvoir d’autres stratégies circulaires (par exemple, la réduction à la source), une vaste enquête pancanadienne auprès d’un millier de répondants a été conduite par notre équipe multi-universitaires, le Laboratoire de recherche sur les Nouvelles Formes de Consommation (LaboNFC) de l’UQAC, en partenariat avec 5R Enabler Designs and Operations Inc (5REDO) et son directeur, le Dr. Mahdi Takaffoli et l’analyste Ophela Zhang. Les résultats de l’étude seront publiés sous peu dans un article intitulé « Le recyclage des plastiques au Canada : Un système inadapté aux attentes de la population canadienne », dans la Revue Organisations & Territoires.
L’échantillon a été constitué à partir d’un panel en ligne. Les participants y ont été sélectionnés aléatoirement selon des quotas préétablis afin de favoriser la représentativité de l’échantillon avec la population canadienne.
Cette enquête met en lumière plusieurs éléments essentiels pour progresser vers une mise en œuvre plus complète des principes de l’économie circulaire.
(Shutterstock)- Un engagement massif pour le recyclage
91 % des répondants au sondage sont bien engagés dans le recyclage des déchets. Ils recyclent et réutilisent la quasi-totalité de leurs déchets, que ce soit à la maison, au travail ou en vacances.
Cette proportion peut paraître élevée compte tenu du fait qu’environ les deux tiers des municipalités canadiennes recyclent. Toutefois, le recyclage comprend également les systèmes de consigne gérés par le privé, dont les chaînes de supermarché. De plus, les individus peuvent également recycler ailleurs qu’à leur domicile, comme au bureau ou à l’école.
Par ailleurs, les répondants au sondage indiquent nettoyer les plastiques avant de les mettre dans le bac de recyclage. De plus, ils gardent leurs déchets dans des piles séparées de verre, de plastique, de papier et de métal. On note également qu’ils jettent les piles usagées dans un conteneur de collecte approprié, plutôt que dans la poubelle. Concernant la perception, ils ajoutent que le recyclage à la maison ne prend ni beaucoup de temps ni beaucoup de travail.
- Un système de recyclage inefficace
Pour 82 % des répondants, le système actuel n’est pas efficace. Selon eux, le plastique collecté n’est pas correctement recyclé pour être réutilisé comme matières premières dans la production de nouveaux produits. Ils sont conscientisés sur le fait que le tri en amont est une étape très importante du processus de recyclage. Même s’ils estiment qu’il est difficile de savoir exactement quels articles en plastique sont recyclables ou non dans le système actuel, ils font tout de même confiance à leur perception et à leurs connaissances pour trier à la maison.
- Des achats de plus en plus écoresponsables
L’enquête révèle que les Canadiens sont prêts à utiliser des sacs réutilisables pour acheter des fruits et légumes, plutôt que d’utiliser les sacs en plastique dans les magasins. De plus, la majorité est disposée à participer à des programmes qui leur offrent les produits essentiels du quotidien dans des emballages réutilisables et recyclables.
Aussi, ils sont nombreux à acheter des produits et des services respectueux de l’environnement, soit des produits fabriqués à partir de plastiques recyclés (plutôt qu’à partir de nouveaux plastiques). De même, ils privilégient l’achat d’articles dans des emballages en papier.
- L’enjeu du recyclage des emballages souples
Enfin, les répondants indiquent ne pas opter pour des contenants en bioplastique et ne participent pas aux programmes de collecte de certains types de plastique (par exemple, des emballages souples) qui ne sont pas couramment recueillis par le système de recyclage actuel.
Au vu de ces résultats, il apparaît que les consommateurs font preuve de bonne volonté et d’une diligence prudente. Toutefois, il faut se questionner sur la responsabilité des producteurs, distributeurs, transporteurs et recycleurs, dont les décisions ont structuré de facto le système — aujourd’hui perçu comme défaillant — et, par extension, les politiques publiques, qui ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Pistes d’amélioration souhaitées
Les consommateurs estiment ainsi faire leur part et que l’amélioration du système de recyclage devrait donc s’effectuer à d’autres niveaux qu’au leur. Plusieurs changements ont été mentionnés en ce sens :
1) L’offre de produits, contenants et emballages réutilisables ou recyclables, car les consommateurs sont fortement enclins à les utiliser ;
2) 56 % des consommateurs souhaiteraient un système de consignation pour certains contenants en plastique ;
3) 52 % aimeraient des points de dépôt (par exemple dans les grands magasins) pour les emballages en plastique souple qui ne sont pas systématiquement collectés ;
4) 42 % souhaiteraient des contenants réutilisables lorsqu’ils se font livrer de la nourriture à domicile ;
5) 30 % souhaiteraient des magasins sans emballages.
Cette enquête révèle que les consommateurs canadiens sont relativement préoccupés par l’environnement, ce qui influe directement sur la modification de leurs comportements en matière de recyclage des déchets.
Cependant, la transformation de leurs pratiques de consommation n’est pas encore correctement associée à une politique ambitieuse et claire de tri, ni à d’autres options proposées, notamment en ce qui a trait aux contenants réutilisables. Ainsi, pour l’heure, le modèle de consommation n’est pas remis en question en raison d’un manque d’éléments facilitateurs vers l’économie circulaire.
Ce constat appelle ainsi des changements plus profonds avec toutes les parties prenantes afin que la transition vers l’économie circulaire aille au-delà du passage d’une poubelle noire à une poubelle bleue.
Myriam Ertz, Professeure adjointe en marketing, responsable du LaboNFC, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC); Anaïs Del Bono, PhD candidate in management and strategy, specialisation in socio-ecological transitions, HEC Montréal; Emmanuel Raufflet, Professor in Management and Circular Economy, HEC Montréal, and Walid Addar, Formal analysis-Lead, Investigation-Supporting, Validation-Supporting, Writing – original draft-Lead, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.