La voiture électrique s’est imposée comme le symbole de la transition énergétique. Elle promet une mobilité plus propre, moins dépendante du pétrole et plus respectueuse du climat. Pourtant, derrière cette image d’une société plus verte, un élément central de la batterie reste largement absent des débats publics : l’électrolyte.
Professeur de chimie dans l'Institut Courtois de l’Université de Montréal et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France, mes recherches portent sur le stockage de l’énergie dans les batteries lithium. Mes travaux visent à concevoir des électrolytes plus durables, ce qui me conduit à m’inquiéter de la dépendance croissante des filières de batteries aux chaînes d’approvisionnement géopolitiquement fragiles.
L’électrification de nos parcs automobiles
La transition énergétique repose en grande partie sur l’électrification de nos parcs automobiles. Longtemps dépendants du pétrole, les pays industrialisés s’engagent désormais dans une transformation profonde de la mobilité.
La Chine a pris une longueur d’avance avec l’essor fulgurant de BYD, devenu en quelques années l’un des plus grands fabricants mondiaux de véhicules électriques. En proposant des modèles abordables et en misant sur des batteries à base de lithium-fer-phosphate, la Chine montre que l’électrification à grande échelle est possible et peut même redessiner les équilibres industriels mondiaux.
En Europe, les grands constructeurs historiques, de Volkswagen à Renault, ont opéré un virage décisif vers l’électrique. Soutenus par des politiques publiques volontaristes, ils investissent massivement dans de nouvelles usines de batteries et annoncent chaque année de nouveaux modèles zéro émission. Ce mouvement n’est pas seulement technologique, il est aussi stratégique : il s’agit de réduire la dépendance aux énergies fossiles et de répondre aux attentes croissantes des citoyens en matière de durabilité.
De nombreux pays ont proposé un objectif clair : d’ici 2035, 100 % des voitures neuves devront être électriques. Cet horizon commun marque une rupture historique. Il signifie que l’automobile, pilier de nos sociétés modernes, doit s’adapter pour devenir compatible avec les limites de la planète.
L’analyse fine des composants de la batterie pourrait toutefois nous faire déchanter. Et pas seulement pour des raisons environnementales : notre dépendance aux électrolytes impose déjà de nouveaux enjeux géostratégiques que l’on ne peut plus ignorer.
L’anatomie des batteries lithium
Une batterie lithium-ion s’articule autour de trois compartiments intimement liés : l’anode, le plus souvent en graphite, qui accueille les ions lithium lors de la charge, et la cathode, composée d’oxydes métalliques de nickel, de cobalt ou de manganèse, qui libère ces ions. L’électrolyte est l’espace qui relie l’anode et la cathode. Ce liquide, constitué de sels de lithium dissous dans des solvants organiques, rend possible la mobilité des ions lithium d’une électrode à l’autre.
Il est important de rappeler que les matériaux critiques aujourd’hui au cœur des électrodes ne sont pas une fatalité. Pour les cathodes, la recherche s’oriente déjà vers des compositions à faible teneur en cobalt, voire totalement exemptes de ce métal problématique, en misant sur des chimies riches en fer et en manganèse, lesquels sont abondants et bien répartis géographiquement.
Les batteries lithium-fer-phosphate se sont ainsi imposées comme une alternative robuste, moins coûteuse et plus respectueuse de l’environnement, déjà adoptée massivement en Chine – avec notamment le développement de BYD – et en pleine expansion ailleurs. D’autres approches explorent les batteries sodium-ion, qui s’affranchissent du lithium lui-même en exploitant un élément, le sodium, présent en quantité quasi illimitée.
Du côté des anodes, le graphite naturel ou synthétique, aujourd’hui majoritaire, peut être partiellement remplacé par du silicium ou par des carbones issus de biomasse, ouvrant la voie à une production plus durable et moins dépendante des chaînes d’approvisionnement critiques.
Ces alternatives témoignent de notre capacité à bâtir des solutions plus vertes pour les batteries et, par extension, pour les voitures électriques.
L’électrolyte, un enjeu géopolitique
Peu discuté dans le grand public, l’électrolyte pose quant à lui deux problèmes majeurs, environnementaux et géopolitiques.
Il faut d’abord savoir que les chaînes d’approvisionnement en électrolytes sont extrêmement concentrées et donc vulnérables. La Chine domine largement la transformation et la formulation de ces composants. Le Maroc est un fournisseur clé pour le phosphore, tandis que le Mexique joue un rôle essentiel pour le fluor. Une telle dépendance crée une fragilité géopolitique majeure : toute tension commerciale, instabilité politique ou décision unilatérale de restriction d’exportation pourrait perturber l’ensemble de l’industrie mondiale des batteries.
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L’Occident, qui s’est longtemps inquiété de sa dépendance au pétrole, risque de répéter la même erreur. En négligeant le rôle de l’électrolyte, nous pourrions remplacer une dépendance par une autre. L’autonomie énergétique associée aux véhicules électriques pourrait alors se révéler illusoire, menacée par ce talon d’Achille oublié.
Pour réduire cette vulnérabilité géopolitique, plusieurs pistes s’imposent. D’une part, diversifier les chaînes d’approvisionnement en développant des partenariats stratégiques avec d’autres pays producteurs et en soutenant l’émergence d’industries locales de transformation. D’autre part, investir massivement dans la recherche pour concevoir des électrolytes alternatifs, moins dépendants de ressources critiques, voire issus de filières renouvelables. Enfin, renforcer les capacités de recyclage des électrolytes usagés offrirait une double réponse : sécuriser l’accès à des matières premières tout en réduisant l’empreinte environnementale du secteur.
L’électrolyte, un enjeu environnemental
Au-delà de la question géopolitique, la production des électrolytes soulève également des enjeux environnementaux. En effet, l’électrolyte n’est pas plus recyclable que sa production n’est verte.
Leur fabrication repose sur des intermédiaires chimiques dangereux et sur des solvants issus des hydrocarbures, ce qui engendre des impacts bien éloignés de l’image verte associée à la mobilité électrique. La durabilité environnementale réelle des voitures électriques ne peut donc être évaluée sans prendre en compte ce maillon négligé.
Il ne s’agit pas ici de comparer la batterie à la pétrochimie : les technologies sont radicalement différentes. L’enjeu est plutôt d’ouvrir les consciences sur le fait que la batterie n’est pas encore aussi verte qu’on le croit. Sa fabrication mobilise encore des solvants fluorés, parfois classés parmi les PFAS, des « polluants éternels », et la quasi-totalité des électrolytes usagés n’est aujourd’hui pas recyclée. Il reste du chemin à parcourir pour que la batterie devienne une alternative pleinement durable.
Pour limiter ces impacts environnementaux, il est essentiel d’explorer de nouvelles voies : développer des électrolytes « verts » en remplaçant les solvants issus des hydrocarbures par des alternatives biosourcées, mettre en place des procédés de synthèse plus sobres en énergie et moins générateurs de déchets, et investir dans des technologies de recyclage capables de récupérer et réutiliser les composants électrolytiques.
De telles approches permettraient non seulement de réduire l’empreinte écologique de la batterie, mais aussi de rapprocher la promesse des véhicules électriques de la réalité d’une transition énergétique véritablement durable.
Une recherche d’alternatives est urgente
Avec des ventes mondiales de véhicules électriques appelées à être augmentées d’ici 2030, la demande en électrolytes va croître de façon exponentielle. Cela soulève des questions urgentes : comment sécuriser et diversifier les approvisionnements, comment réduire la dépendance stratégique, et comment développer des alternatives plus durables ?
L’électrolyte est le maillon oublié de la transition électrique. L’ignorer, c’est construire une indépendance énergétique sur des bases fragiles. Si nous voulons que la voiture électrique tienne réellement sa promesse de durabilité et de souveraineté, il est urgent d’intégrer l’électrolyte au cœur du débat public.![]()
Olivier Fontaine, Professeur de Chimie, et de sciences physiques, Université de Montréal
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.