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Thierry Lefèvre, Université Laval

La récente décision d’Ottawa de restreindre l’entrée au pays par avion pour limiter la propagation de la Covid-19 est particulièrement intéressante, car elle permet d’envisager cette question dans le contexte des changements climatiques. Alors que la motivation sanitaire est de limiter l’épidémie, l’objectif climatique sera de réduire l’empreinte carbone de la société.

En tant que chercheur en science nature et technologie dont le domaine d’intérêt est l’empreinte environnementale des technologies, cette question m’interpelle directement. En toute logique, la réduction de l’empreinte carbone du transport aérien demandera des transformations profondes de cette industrie.

Une question socialement sensible

Même si la question est parfois abordée d’un point de vue éthique, la restriction des voyages en avion n’a jamais vraiment été abordée de front en terme environnemental. Il s’agit en effet d’une question sensible qui tourne autour de la notion délicate de voyage non essentiel, pouvant conduire à une réduction des libertés individuelles, comme l’a montré la Covid-19.

La pandémie permet aujourd’hui de mettre de l’avant un enjeu risquant de devenir socialement légitime pour le climat. Les mesures prises récemment au Canada, notamment la restriction des voyages vers les destinations « soleil », deviennent ainsi envisageables pour réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2) du Canada.

Il faut dire que l’urgence climatique se fait de plus en plus sentir et que s’éloigne la cible de 1,5-2 °C de hausse de la température planétaire telle que défendue lors des négociations de l’Accord de Paris. Cette situation a conduit à l’émergence d’un mouvement, le flight shaming, qui questionne la responsabilité environnementale de prendre l’avion.

L’impact des déplacements aériens

Avant la pandémie, le transport aérien était en pleine croissance. Pour quantifier l’ampleur des déplacements aériens, l’industrie utilise un paramètre appelé « kilomètre-passager payant ». Il s’agit du produit entre le nombre de passagers qui ont acheté un billet et la distance parcourue. Cette grandeur intègre ainsi annuellement le nombre de voyageurs et la longueur des vols.

Ce paramètre a régulièrement augmenté au niveau mondial entre 1960 et 2019, passant de 109 milliards à 8 3000 milliards de km. La hausse est particulièrement soutenue depuis les années 2010 comme le montre la figure ci-dessous. Elle illustre la grande démocratisation des déplacements par avion au cours des dernières décennies.

kilomètres-passagers payants annuels mondiaux Évolution du nombre de kilomètres-passagers payants annuels entre 1930 et 2019. World Airlines Traffic and Capacity, Airlines for America

L’empreinte carbone des avions est particulièrement difficile à évaluer. Elle dépend de plusieurs facteurs, dont les émissions de dioxyde de carbone, d’oxyde d’azote, de vapeur d’eau, d’aérosols, de suie, de sulfates, ainsi que de l’augmentation de la turbidité due à la formation des traînées blanches.

Selon une estimation récente, la contribution du secteur sur le réchauffement anthropique est estimée à 3,5 % pour 2018. Si l’industrie était un pays, elle se classerait parmi les 10 émetteurs de gaz à effet de serre les plus importants du monde.

Comme d’autres secteurs économiques, le transport aérien devra réduire son empreinte carbone et, bien qu’indispensables, les avancées en termes d’efficacité énergétique ne suffiront pas.

En effet, bien que le CO2 émis par kilomètre parcouru ait diminué d’un facteur 8 entre 1960 et 2018, les émissions totales de CO2 sont, elles, passées de 6,8 à 1 034 mégatonnes de CO₂ par année, une augmentation d’un facteur 152 !

La solution : moins voyager

La pandémie a particulièrement touché l’aviation civile, avec une baisse de ses activités qui a atteint 90 %. Ce coup d’arrêt brutal met en péril la viabilité économique des compagnies aériennes et plusieurs ont appelé le gouvernement fédéral à les soutenir.

Une aide financière d’Ottawa est probablement incontournable pour préserver ce secteur stratégique du pays. Mais pour négocier un virage réellement vert, ce soutien pourrait être conditionnel à une réduction majeure de l’empreinte carbone de l’industrie.

Les compagnies aériennes pourraient ainsi investir massivement en recherche pour favoriser l’efficacité énergétique des avions. Plusieurs projets de recherche sont en cours, comme la fabrication d’avions hybrides ou le remplacement du carburant traditionnel par des combustibles de substitution, comme des biocarburants produits à partir de plantes.

C’est indispensable, mais comme on l’a vu, cette stratégie demeure insuffisante si la croissance des déplacements se poursuit. Il est nécessaire de voir plus largement et plus loin. La contraction draconienne des activités offre une occasion unique de renouveler le modèle d’affaire des entreprises, d’innover et diversifier leurs activités.

La réduction de l’empreinte carbone du secteur exigera une réduction des déplacements par avion. Certains types d’activités comme les voyages d’affaires et les congrès internationaux pourraient continuer de bénéficier des communications en ligne et des formules hybrides mises à profit durant la pandémie.

Le coup d’arrêt des activités aériennes par la pandémie est aussi l’occasion de privilégier la chaîne d’approvisionnement nationale et les déplacements intérieurs de voyageurs plutôt qu’internationaux.

Mais surtout, si les voyages non essentiels ont pu être restreints pour des raisons sanitaires liées à la Covid-19, pourquoi ne pourraient-ils pas l’être pour des raisons sanitaires liées aux changements climatiques ?

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) propose de nouvelles réglementations, dont la mise en place de redevances environnementales et l’échange des droits d’émission par l’entremise d’une bourse de carbone. Cela ferait forcément augmenter les prix de billets d’avion, ce qui pourrait être un incitatif à moins voyager. Dans ce contexte et pour des raisons d’équité, il serait intéressant de rendre accessible à tout écolier et écolière la possibilité de visiter une fois dans sa vie un pays étranger de manière éducative dans un cadre scolaire.

Dans un contexte d’un nombre plus restreint de voyages, les compagnies aériennes pourraient anticiper et diversifier leurs activités. Parmi les avenues envisageables, l’une pourrait être de promouvoir le tourisme virtuel. Les transporteurs pourraient investir, collaborer avec des agences de voyages et des entreprises en informatique pour développer des manières innovantes de visiter les pays étrangers : inventer des parcours et des expériences inédits et éducatifs et pourquoi pas ? — faire rencontrer virtuellement les habitants des pays étrangers pour créer des échanges riches et conviviaux.

Pour parvenir à négocier un changement de cap permettant de réinventer le voyage tout en réduisant l’empreinte environnementale de leurs activités, les compagnies aériennes ont besoin de dirigeants visionnaires et d’une gouvernance diligente.La Conversation

Thierry Lefèvre, Associate research in materials science and co-coordinator of Des Universitaires, Université Laval

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.