Hydro-Québec et les Innus d’Unamen Shipu ont signé en mai une entente sur la centrale Lac-Robertson. Celle-ci vise à régler l’ensemble des différends relatifs à cette centrale de la Côte-Nord, construite dans les années 1990. Elle faisait l’objet de diverses contestations et de réclamations de la part de la communauté d’Unamen Shipu.
Hydro-Québec leur versera des redevances de 32 millions de dollars sur une période de 23 ans.
Pourquoi l’État québécois a choisi d’offrir ces redevances cette année, pour une centrale hydro-électrique en activité depuis près de 35 ans, et qui est contestée par cette communauté depuis longtemps ?
La filière batterie pourrait-elle fournir une explication ?
Je m’intéresse, depuis mes études de maîtrise, aux questions de l’extractivisme minier et des droits des peuples autochtones en contexte canadien. Ma recherche doctorale porte sur le rôle de l’État québécois dans l’industrie minière et sur ses enjeux de développement durable, de transition énergétique, et de réconciliation avec les peuples autochtones.
Or, l’entente avec les Innus d’Unamen Shipu survient alors que le gouvernement québécois cherche à développer sa filière batterie en évaluant le potentiel en minéraux critiques et stratégiques et en hydro-électricité sur leur territoire, et plus largement sur celui de la Basse-Côte-Nord. Les ressources nécessaires à la production de batterie sont souvent situées en territoires autochtones.
Le projet de construction d’une usine à batterie électrique de la compagnie Northvolt, annoncé en septembre 2023, est toujours sur les rails, malgré les importantes difficultés financières de Northvolt.
Le territoire Unamen Shipu dans l’œil de l’État québécois
En septembre 2023, le projet de barrage du Petit Mécatina, en territoire Unamen Shipu, est décrié par le Conseil des Innus d’Unamen Shipu pour l’absence de consultation de la communauté, malgré le fait qu’Hydro-Québec ait déjà entamé des études de faisabilité du projet sur le terrain.
Hydro-Québec réagit alors à cette sortie médiatique et affirme qu’il ne s’agit que d’étude préliminaire, nécessaire à informer à communauté dans un processus de consultation à venir.
Quelque mois plus tard, en février 2024, un projet de cartographie du lac Coacoachou, également en territoire traditionnel Unamen Shipu, est critiqué publiquement par le conseil de bande. Il s’agit d’une évaluation du potentiel minier de cette région en termes de lithium, graphites et autres minéraux critiques et stratégiques nécessaires aux batteries électriques. Là encore, la critique faite au gouvernement soutient que la communauté n’a pas été consultée adéquatement.
En février 2024, le conseil de bande rejette ces deux projets.
L’entente en mai entre Hydro-Québec et Unamen Shipu s’inscrit donc dans ce contexte d’insatisfactions par rapport aux relations avec le gouvernement québécois en termes de processus de consultation.
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D’ailleurs, quelques semaines avant sa signature, le chef du Conseil d’Unamen Shipu Raymond Bellefleur a déclaré que le projet de barrage sur la rivière du Petit Mécatina ne serait pas discuté sans cette entente.
En tant qu’outil de négociation pour convaincre le conseil de bande d’Unamen Shipu de consentir à de nouveaux projets miniers ou hydro-électriques sur son territoire, l’entente Mishta Uashat Lac-Robertson entre Unamen Shipu et Hydro-Québec correspond à l’approche annoncée par François Legault en 2022 : le développement de la filière batterie se fera avec l’acceptabilité sociale des communautés dont le territoire sera affecté par ces projets industriels.
La diversité des relations Nations Autochtones-État québécois
Il existe plusieurs formes de relations entre les peuples autochtones, le gouvernement québécois et l’industrie minière.
Moins connues du grand public, les ententes sur les répercussions et avantages (ERA) sont très répandues depuis des décennies. Ces ententes sont individuelles et signées entre une communauté autochtone et une compagnie minière. Absent de ces ententes, l’État délègue son devoir de consultation et d’accommodation des communautés autochtones aux minières.
Dans d’autres cas, le gouvernement est activement en relation avec ses vis-à-vis autochtones et la question de la consultation est encadrée dans le cadre d’entente publique. C’est le cas, par exemple, d’une entente signée en 2016 entre Québec et la Première Nation Abitibiwinni de Pikogan, en Abitibi-Témiscamingue.
Poursuivant cette collaboration, en 2022, une nouvelle entente a été signée relativement à l’usage du territoire traditionnel Abitibiwini. Elle garantit, entre autres, des redevances sur les produits de l’exploitation minière.
Ces relations peuvent être conflictuelles, comme l’illustre le cas du conflit juridique entre la Première Nation de Lac-Barrière et le gouvernement à propos de l’obligation de consultation relativement aux claims miniers. Depuis 2020 cette communauté poursuit l’État québécois devant les tribunaux afin que soient respectés ses droits territoriaux.
Ces formes de relations peuvent changer dans le temps, comme l’illustre bien le cas d’Unamen Shipu, dont la signature de l’entente avec Hydro-Québec relève davantage de la collaboration, alors qu’elle était plus conflictuelle au début de l’année 2024.
La filière batterie, un projet de société ?
La réconciliation avec les peuples autochtones semble être devenue un incontournable dans le développement de la filière batterie, en devenant un vecteur d’intégration des questions environnementale et sociale dans ce projet de développement.
Centrale à l’idée de réconciliation, l’enjeu de la restitution des territoires brille pourtant par son absence dans l’entente entre Hydro-Québec et le Conseil des Innus d’Unamen Shipu. Cela s’explique par le fait que les États canadien et québécois ne souhaitent pas se départir de la souveraineté sur ces territoires](https://www.pulaval.com/libreacces/9782763744889.pdf), laquelle leur permet de mieux en contrôler les ressources.
La filière batterie suscite toujours l’enthousiasme du premier ministre François Legault. Il ne fléchit pas malgré les revers de Northvolt.
Est-ce que la filière batterie serait pour la CAQ ce qu’Hydro-Québec a voulu être pour le PQ dans les années 1970, c’est-à-dire un projet de développement économique mue par une aspiration nationaliste ?
Il est encore trop tôt pour l’affirmer. Cependant, il est clair que la filière batterie incarne bien le lien entre exploitation des ressources naturelles et enjeux politiques. Elle a pour objectif de positionner le Québec comme l’un des leaders mondiaux de la transition énergétique, en concurrence avec la Chine, l’Ontario et les États-Unis.
Jean-Sol Goulet-Poulin, Doctorant en anthropologie, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.